Du plein écran, à la classe en plein air, puis en pleine nature

Lundi 25 septembre 2023

Consultez l’article rédigé par la communauté éducative du collège Le Bocage de Dinard (35). Apprendre dehors : un chemin pour retrouver ensemble le plaisir d’apprendre, d’enseigner et d’éduquer.

Constat initial

Des difficultés et troubles des apprentissages en forte augmentation

Comme de nombreux enseignants, nous constatons, et subissons, les difficultés scolaires croissantes de certains de nos collégiens. Celles-ci se sont progressivement accentuées avec la diffusion massive des écrans, tactiles notamment, comme l’attestent de nombreuses études. Nous avons ainsi pu observer que de plus en plus d’élèves , malgré leur bonne volonté, ne sont plus capables de maintenir leur attention, même une ou deux minutes pour certains d’entre eux. Beaucoup des adolescents que nous accompagnons dans leurs apprentissages au quotidien sont présents physiquement mais nous semblent mentalement « absents », comme si leur cerveau était en pause. La plupart de ces jeunes ne présentent pas de déficience intellectuelle mais ne parviennent plus à se concentrer réellement et à donner sens aux apprentissages proposés.

Il devient parfois même difficile de capter leurs regards, éteints, ou simplement d’obtenir qu’ils enlèvent leurs manteaux et fassent preuve d’un minimum d’autonomie en sortant le matériel dont ils ont besoin pour travailler. Ces jeunes semblent en perte de motivation et se projettent difficilement dans l’avenir au sein d’une société dont l’évolution économique, sociale, politique, écologique et sanitaire est de plus en plus anxiogène. Nous côtoyons ainsi dans nos classes un nombre croissant de collégiens découragés, maîtrisant à peine la lecture et l’écriture, et même les compétences psychosociales permettant de vivre ensemble et de coopérer efficacement pour apprendre.

Nos programmes disciplinaires restent ambitieux et certains élèves, à l’inverse, ont progressé dans l’apprentissage en autonomie lors des périodes d’enseignement à distance. Ceux-ci s’ennuient en écoutant l’enseignant répéter les mêmes consignes, souvent démuni face à une jeunesse tellement apathique, subissant l’inertie d’un groupe constitué d’individus aux besoins tellement divergents qu’ils ne parviennent plus toujours à communiquer entre eux.

Un problème amplifié depuis la crise sanitaire

Les écarts entre ces différents profils d’élèves se sont creusés au gré des confinements successifs liés à la crise du covid. Si les apprentissages ont pu être performants dans les familles bien équipées au plan numérique, disposant de temps et d’adultes compétents pour accompagner les enfants, d’autres familles, monoparentales notamment, ont vu leurs fragilités s’accentuer, souffrant du manque d’équipements numériques, de maîtrise de ces outils, de temps ou de compétences des adultes encadrants au sein du foyer.

En tant qu’enseignants expérimentés, nous avons pu constater que nombre d’ adolescents, sans oser l’exprimer, ont vécu une sorte de sidération au cours de cette période de privation de libertés et de relations sociales. Ils ont développé des troubles de l’apprentissage, diagnostiqués ou non, que nous constatons chaque jour dans nos classes. Ainsi, il n’est plus rare de travailler avec des jeunes inaptes à lire quelques phrases, à les comprendre, à appliquer une consigne simple, rédiger ou même recopier une phrase correctement ou entrer en interaction avec leurs camarades.

Le syndrome de manque de nature

Un nouveau problème de santé publique a été identifié et reconnu depuis plus d’une dizaine d’années en Amérique du Nord : des études menées par plusieurs scientifiques ont prouvé que le manque de nature expose l’humain à de nombreux troubles physiques et mentaux parmi lesquels l’hyperactivité avec ou sans déficit de l’attention (TDAH), des retards de développement d’habiletés motrices et d’aptitudes sociales et d’autres troubles du neurodéveloppement (dys- notamment) mais également l’asthme, le diabète, la dépression, l’hypertension, la myopie, l’obésité. On se reportera au rapport de l’Union Européenne Birdlife International * décrivant les effets du manque de nature sur la santé et le développement.

Que faire pour retrouver ensemble le plaisir d’apprendre et d’enseigner ?

Les symptômes de ce syndrome du manque de nature sont inquiétants, sérieux et se généralisent. Un remède est possible, sain et peu onéreux : sortir.

L’enjeu est de taille puisque les bénéfices peuvent se mesurer en terme d’éducation, ce qui nous intéresse ici, mais aussi dans le domaine de la santé donc des finances publiques et même du développement durable car les expériences de contact avec la nature favorisent les prises de conscience et l’engagement en faveur de l’environnement.

Si la sédentarisation et la virtualisation du rapport au monde ont accentué chez les futurs citoyens la peur de l’autre et de la nature, le réseau école et nature démontre que sortir avec les enfants et adolescents diminue rapidement leur stress, augmente leur créativité, l’autodiscipline et la coopération tout en générant des émotions positives permettant un développement sain aux plans physique et psychique, un meilleur sommeil et une réduction de l’impulsivité, de l’hyperactivité et du manque d’attention.

Faire classe dehors permet ainsi, naturellement et simplement, de reconnecter les adolescents à eux-mêmes et à leur environnement, améliorant leurs apprentissages comme leur santé physique et psychique. Cette connexion se fait notamment en passant du temps dans la nature et en se concentrant sur l’instant ou l’environnement présents comme l’atteste un rapport du CNRS ** publié le 1er décembre 2021.

Des expérimentations encourageantes dans notre collège

Depuis plusieurs années, quelques enseignants ont pris conscience de la nécessité de répondre aux besoins premiers naturels des élèves afin de créer un climat propice aux apprentissages en classe. Boire est important, respirer sainement, notre première fonction vitale, permet une mobilisation optimale des fonctions neuronales. Nous avons ainsi pu observer comment un élève en situation de blocage dans ses apprentissages se remet au travail plus efficacement après avoir bu une gorgée d’eau ou respiré correctement (respiration ventrale par le nez). De courtes pratiques de respiration collectives facilitent grandement ensuite la gestion du groupe classe.

Depuis l’an passé surtout, les cours en plein air se font plus réguliers à l’extérieur comme dans l’enceinte de notre établissement. Il est intéressant de constater que les témoignages des élèves concernant ces cours dehors accordent une place majeure au fait de bien respirer. Voici quelques-uns des mots qu’ils emploient à ce sujet :

« On respire bien de l’air pur »,« On prend l’air et je travaille mieux », « Je suis moins étouffée que dans la classe », « Il fait plus frais, je peux prendre l’air et je me sens mieux ».

D’autres thèmes se retrouvent dans leurs témoignages comme celui de la coopération : « C’est plus convivial », « On peut mieux partager nos idées avec ses copains » ou de la concentration : « Mon cerveau réagit mieux », « Je travaille mieux dehors et je comprends les exercices », « Ça m’aide à me concentrer mieux », « Je réfléchis mieux quand je suis bien à l’aise » et même des remarques ayant trait au bien être corporel ou aux émotions : « On peut bouger et s’installer comme on veut », « On peut s’allonger pour travailler », « Je me sens mieux », « Je suis moins fatigué dehors », « Je retrouve mon art spirituel ». Cette dernière phrase provient d’un élève souffrant d’importants troubles des apprentissages qui n’a pas réellement réussi à expliquer pourquoi il s’exprimait ainsi.

Nous n’avons pas recueilli beaucoup de témoignages de parents car, au collège, les contacts des enseignants avec les familles sont très ponctuels. Toutefois, les remerciements concernant le fait de faire classe en extérieur ne sont pas rares. Voici une remarque intéressante d’une mère d’un élève de 5e dyslexique au cours d’un entretien téléphonique : « Mon fils ne nous a jamais parlé de ses cours à l’école ou au collège mais chaque fois qu’il fait classe dehors, il nous raconte la séance avec beaucoup d’enthousiasme à son retour à la maison. » Ce collégien, à l’attitude passive en salle de classe, choisit systématiquement de travailler avec ses deux copains sur des tapis de sol lorsque nous sommes en extérieur. Il vient alors régulièrement demander des conseils à son enseignante, en courant parfois. Cette attitude positive fait partie des « cadeaux » qu’offrent souvent aux enseignants les pratiques régulières de cours en extérieur. De même, se retrouver devant une classe demandant avec enthousiasme, les yeux brillants, « Madame, on peut faire classe dehors aujourd’hui ? » est une grande source de motivation pour le professeur de collège ayant passé des heures à enseigner face à des classes amorphes ou énervées , épuisées après plusieurs heures enfermées à travailler.

Depuis l’année scolaire 2021/2022, le collège est engagé dans la création d’une Aire Marine Educative avec une classe de sixième, sur le site du Prieuré, à 10 minutes à pieds de notre établissement. Travaillant en lien avec une animatrice de l’association Escale Bretagne, les enseignants ont pu expérimenter une pratique régulière de séances d’une demi-journée dans la nature, les incitant à travailler en interdisciplinarité sur des thèmes variés comme la découverte de la biodiversité, du patrimoine, des acteurs économiques, etc. Dans ce cadre, les élèves et l’équipe pédagogique les accompagnant ont décidé de créer une classe en plein air, sur le site du Prieuré, en lien avec la municipalité qui soutient notre projet.

Du plein écran à la classe en plein air puis pleine nature : les étapes du projet

Après nos expériences de confinement et d’enseignement à distance, en plein écran, il nous semble aujourd’hui nécessaire de diversifier nos pratiques pédagogiques. Si les outils numériques nous sont aujourd’hui indispensables pour travailler quotidiennement avec nos élèves, de toutatice aux vidéoprojecteurs en passant par les chariots numériques et les salles multimédias, sortir ces adolescents happés par leurs divers écrans devient aussi un axe de travail prioritaire au quotidien, relevant de la responsabilité des familles mais aussi de notre système éducatif.

Ayant participé à une formation sur le thème« Enseigner dehors dans le secondaire », une enseignante s’est lancé le défi de tenter de faire classe en plein air au moins une fois par semaine au cours de cette année scolaire. Encouragée après avoir découvert que ces pratiques ont fait leur preuve depuis longtemps dans des pays aux climats nettement plus froids, elle en a parlé à ses élèves en ce début d’année scolaire. Pour l’instant, le contrat est rempli. Les semaines où la professeur pensait que ce ne serait pas possible, ce sont les classes, fort demandeuses, qui l’ont incitée à sortir quand même. Ainsi, sans aucun aménagement, les élèves ont régulièrement classe à l’extérieur ou dans l’enceinte du collège. Dans un premier temps, un lieu avec des tables a été privilégié bien que les élèves choisissent souvent de s’installer par terre. Majoritairement à l’ombre dans la journée, ce lieu s’est vite révélé inadapté à partir du mois d’octobre. Désormais, en fonction des classes, des activités proposées, de la météo et de l’horaire, les cours en plein air ont lieu dans la cour de récréation ou dans un espace enherbé à proximité du parking du personnel. D’autres enseignants se lancent ou souhaitent se lancer et participent à la réflexion concernant l’aménagement d’une classe en plein air. Certains se sont inscrits aux formations proposées sur le thème Enseigner dehors dans le secondaire. Des surveillants ont envie de proposer des permanences ou temps de lecture en extérieur et la communauté scolaire se mobilise largement puisque l’agent d’entretien a fabriqué un chariot avec du matériel de récupération pour stocker les tapis de sol, tablettes en bois, manuels scolaires, tableau à roulette et le reste du matériel utiles pour ces cours en plein air. Notre chef d’établissement encourage ces pratiques en se montrant aussi le garant de la sécurité des élèves.

Les deux espaces de plein air et d’apprentissages :

  • Le premier espace, dans la cour de récréation, serait accessible librement à tous les élèves. Il nécessite des aménagements fixes permettant de travailler en classe entière mais aussi dans le cadre d’heures de permanence, du dispositif devoirs faits ou de travail personnel, de cours de soutien, de clubs ou en autonomie. Il bénéficierait ainsi largement aux élèves dans le cadre des activités de vie scolaire comme d’enseignement. Toutefois, il n’est pas le plus adapté pour faire classe dehors car la cour de récréation est visible depuis de nombreuses salles, c’est un espace très grand, trop ouvert, peu végétalisé et souvent occupé par des élèves notamment entre 11h30 et 14h.
  • Le second espace choisi, à vocation d’enseignement en milieu bocager, n’est pas accessible librement par les élèves qui doivent s’y rendre accompagnés d’un adulte en vue d’une activité scolaire précise, le plus souvent réalisée en petits groupes de travail, pratique pédagogique tout à fait adaptée à l’enseignement en extérieur. Il se situe à proximité du potager en voie de réalisation par les élèves de l’IME avec lesquels nous souhaitons recréer du lien. Ce lieu doit être sécurisé mais il offre un espace plus restreint, enherbé, avec davantage de facilités pour planter deux arbres et une haie bocagère ce qui semble une évidence en Bretagne, au collège le Bocage. La rencontre d’intervenants du Parc Naturel Régional (CŒUR Émeraude) est envisagée et permettrait d’engager la réflexion avec nos élèves concernant la plantation de cette haie constituée d’espèces locales adaptées à notre cadre scolaire.

Enfin, une classe pleine nature verra le jour en fin d’ année scolaire prochaine sur le site du Prieuré, en partenariat avec la municipalité de Dinard. Nos élèves de l’AME y proposeront une armoire pédagogique permettant la découverte de ce milieu au riche patrimoine naturel, historique et culturel. Pluridisciplinaire, celle-ci sera accessible à tous les élèves de primaire et secondaire du département. Nous répondrons ainsi pleinement aux objectifs d’une Aire Marine Educative : Connaître, vivre ensemble mais aussi transmettre nos connaissances et nos expériences positives partagées sur le terrain.

* Selon le rapport Birdlife International sur Le bien-être grâce à la nature dans l’Union Européenne :
« Les sorties éducatives en nature peuvent aider les élèves à prendre de l’assurance, améliorer leur estime d’eux-mêmes et leur apporter des connaissances. […] L’apprentissage par le monde réel contribue aux objectifs scolaires et apporte aux enfants une plus grande connaissance de la nature. Ce contact avec la nature a également pour conséquence :
• l’amélioration du comportement des enfants et de leur autodiscipline
• leur développement émotionnel
• la diminution des incivilités, agressions ainsi qu’une meilleure intégration dans la communauté

** https://www.occitanie-ouest.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/renforcer-le-sentiment-dappartenance-la-nature-une-strategie-gagnant-gagnant-pour-lhumain